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Le terme « miniature » est impropre. Les œuvres qualifiées de « miniatures » sont parfois monumentales, comme les fresques du palais royal d’Ispahan, datant du XVIIe siècle. Selon Michaël Barry, professeur au département d’études proches orientales à l’Université de Princeton, le terme « miniature » provient non pas de la taille des œuvres mais d’une expression latine médiévale désignant des dessins tracés au minium, un crayon à mine de plomb rouge, avant d’être coloriés. En réalité, il vaudrait mieux parler d’« enluminure figurative en terre d’islam ».
SOURCES :
- CANBY, Sheila R. Le Shâhnâmeh de Shah Tahmasp, Le livre des rois, Citadelles & Mazenod, 2014
- CURATOLA, Giovanni et SCARCIA, Gianroberto, Iran, 2500 ans d'art perse, Villeneuve-le-Roi, Hazan, 2004
- FAZEL, Leila et ALIBAIGI, Sajjad, Discovery of cave art in the province of Fars, Southern Iran, Rock Art Research: The Journal of the Australian Rock Art Research Association (AURA), vol. 29, n° 2, nov: 187-190, 2012
- GRAY, Basil, La peinture persane, Genève, Éditions d’Art Albert Skira, 1961
- GRENET, Frantz, http://frantz.grenet.free.fr/index.php?choix=afrasiab
- ISHAGHPOUR, Youssef, La Miniature persane - Les couleurs de la lumière : le miroir et le jardin, Tours, Farrago, 1999
- KARIMI, Ebrahim, "The Rock Paintings of Kuh-e-Donbeh in Esfahan, Central Iran" in Arts, vol. 3(1): 118-134, 2014
- LOUKONINE, Vladimir, IVANOV, Anatoli, Miniatures persanes, Parkstone, 2010
- MELIKIAN-CHIRVANI, Assadullah Souren, Le Chant du monde, L’art de l’Iran safavide 1501-1736, Paris, Musée du Louvre Éditions, 2007
- REMACLE Laurence, LEJEUNE Marylise, ADELI, Jaial, MOHAMMADI Sirvan & OTTE Marcel, « Art rupestre de Houmian, province de Luristan, Iran » in Anthropozoologica 41 (2) : 13-27, 2006
- RICHARD, Francis, EHM, Christine, Splendeurs persanes, manuscrits du XIIe au XVIIe siècle, Bibliothèque nationale de France, 1997
- SAMIBAEV, Masud, GRENET, Frantz, Présentation de la “Peinture aux Ambassadeurs” d’Afrasiab (VIIe siècle de notre ère) http://www.archeo.ens.fr/IMG/pdf/peinture_afrasiab_description.pdf
- SCHWARTZ, Gary, "Terms of Reception, Europeans and Persians and Each Other's Art", in Mediating Netherlandish Art and Material Culture in Asia, Thomas DaCosta Kaufmann et Michael North (eds), Amsterdam, Amsterdam University Press, 2014
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JUSQU'AU XIIIe SIÈCLE
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Peinture rupestre, grotte Douché, province du Lorestan, Iran.
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Quelques peintures rupestres très anciennes ont été découvertes sur le plateau iranien. Il s'agit :
- de figures anthropomorphes armées d'arcs ou d'épées chassant des chèvres sauvages. Elles ont été découvertes dans des abris-sous-roche situés dans la vallée de Houmian (province du Lorestan). Elles dateraient de l'Âge du fer et d'époques ultérieures, mais la datation fait débat.
- de figures géométriques, de créatures zoomorphes et anthropomorphes ainsi que de végétaux, dans la grotte Tang-e Tayhoui et dans l'abri sous roche Tang-e Tâdavân (province du Fars). Il est difficile de dater ces œuvres, mais on a retrouvé à proximité des fragments de poteries postérieurs à la préhistoire.
- de figures zoomorphes et anthropomorphes, de chevaux..., sur le site de Kuh-e-Donbeh (province d'Ispahan). Ces motifs seraient également postérieurs à la préhistoire.
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Audience accordée par Mardochée, personnage du Livre d'Esther (Bible).
Synagogue de Doura-Europos (Syrie), vers 245 de notre ère.
Image tirée de l’ouvrage d’Erwin R. Goodenough, Jewish Symbols
in the Greco-Roman Period, 13 vols, New York, Pantheon Books, 1953-1968.
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De l'époque préislamique, aucun manuscrit ne nous est parvenu. Il reste néanmoins quelques peintures murales
- de l'époque achéménide (vers 550–330 av. notre ère). Nous savons par des sources grecques du IVe siècle avant notre ère que des œuvres picturales ornaient maisons, temples et palais. Des fragments ont été retrouvées dans le Fars, à Persépolis et Pasagardes, dans le Khuzestan, à Suse (figures humaines avec une préférence pour le portrait de profil) et sur le site de Dahâne Gholâmân, au Sistan (animaux, scènes de chasse).
- de l’époque séleucide (305 – 64 av. notre ère). On connaît quelques peintures à Suse.
- de l'époque parthe (250 av. notre ère - 224 de notreère). Des peintures murales ont été découvertes à Mansur Teppe et Nisa, première capitale des Parthes (Turkménistan), à Hatra (Irak), à Lakh-Mazar (province de Birjand) et à Kuh-e Khâje (province du Sistan-Balouchistan).
Voici une peinture de style parthe retrouvée sur le site de Doura-Europos (Syrie).
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Le roi, en barque, chasse le sanglier. Bas-relief se trouvant dans l’un
des deux iwans de Tâq-e Bostân, près de Kermânshâh.
Détail du panneau de gauche.
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- les Sassanides (224-651) étaient réputés pour leur production artistique. Ils connaissaient le papier, importé de Chine, mais aucun manuscrit de cette époque ne nous est parvenu. Concernant la peinture murale, des fragments ont été retrouvés sur les sites de Suze et Ivân-e Karkhah (province du Khuzestan), Hâjiâbâd (province du Fars), Ctésiphon (Irak)... Selon l’historien romain Ammien Marcellin (vers 325-330 - après 391), qui accompagna l’empereur romain Julien (331 ou 332 - 363) dans sa campagne contre le roi Shapour II (309 - 379), les Sassanides aimaient les scènes de chasse et de bataille. Nous savons aussi qu’ils connaissaient le portrait. Cela dit, faute de fragments significatifs, la connaissance de la peinture de cette époque présente des lacunes.
Voici un bas-relief se trouvant à Tâq-e Bostân, près de Kermânshâh. Il s’agit d’une scène de chasse, à l’origine colorée.
L’œil des spécialistes : « Dans la scène de chasse au sanglier, le personnage de plus grande taille, occupé à tirer à l’arc depuis une barque, est reproduit deux fois, une première fois avec un nimbe et une deuxième fois sans. […] La figure nimbée ne serait pas le shahanshah [le roi des rois] mais sa fravashi [l’âme préexistant à sa naissance]. » (Giovanni Curatola et Gianroberto Scarcia, Iran, 2500 ans d'art perse, Villeneuve-le-Roi, Hazan, 2004, p. 103).
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« Peinture des Ambassadeurs », Musée d’Afrâsiâb (Samarcande),
vers 660 de notre ère.
© Musée d’Afrâsiâb
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En Asie centrale, à la périphérie de l'empire, des peintures murales datant de la période sogdienne (Ve - VIIIe siècle) ont été retrouvées sur les sites d'Afrâsiâb (Samarcande), Pendjikent (Tadjikistan) et Varakhsha (Ouzbékistan).
Sur la peinture ci-contre, on distingue un roi sogdien, Varkhouman (qui régna dans les années 650-660 de notre ère) et des ambassadeurs apportant des cadeaux. L’œuvre décorait les murs de la salle de réception d'une demeure aristocratique. Elle fut découverte dans les années 1960, lors de travaux de construction d'une route.
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Travail de réassemblage des peintures ayant orné un pavillon
datant de l'époque karakhanide à Afrasiab (Samarcande) en 2004.
© Miniatures persanes, 2004
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Autres peintures, toujours à Afrâsiâb, celles ornant les murs d'un pavillon et datées de l'époque karakhanide (XIIe siècle). Brisées probablement au XIIIe siècle, elles ont fait l'objet d'un long travail de réassemblage.
L’œil du spécialiste : « Les parties reconstituées permettent d'apprécier l'extrême finesse de l'exécution et la diversité des thèmes : oiseaux dans un décor floral parcouru d'inscriptions laudatives en arabe et de poèmes en persan, danseurs, frise de chiens de chasse, cavaliers, archer turc présentant une flèche (symbole de souveraineté), péris (femmes ailées), composition mythologique dont le sens reste à découvrir (un aigle gigantesque posé sur une montagne devant laquelle est couchée une Harpie). Ces peintures constituent d'ores et déjà un chaînon majeur dans l'histoire des arts figurés iraniens, entre la grande peinture préislamique et l'émergence de la miniature persane. » (Franz Grenet, professeur au Collège de France, sur http://frantz.grenet.free.fr/index.php?choix=afrasiab)
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Statue de Ferdowsi, Université de Mashhad (Iran). © fouman.com
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Entre les VIIe et IXe siècles, les Arabes conquièrent la Perse. Les Abbassides (750-1258), qui ont fixé leur capitale à Bagdad, règnent sur un vaste territoire. Aux marges de ce territoire, naissent des dynasties « locales ». Elles tiennent à rattacher leur histoire à celle, prestigieuse, des rois de Perse. Dans ce but, les princes locaux deviennent de généreux mécènes en matière « culturelle » et financent notamment nombre d’écrivains.
Parmi ces dynasties, citons les Samanides (875-999), d’ascendance iranienne, qui ont pour capitale Boukhara. Ce sont eux qui commandent au poète Ferdowsi (vers 940-vers 1020) un Livre des Rois (Shâhnâmeh en persan) qui sera plus tard abondamment commenté par l'image. Ce poème épique de 55 000 vers en langue persane retrace « l’histoire » de l’Iran depuis la création du monde jusqu'à l’invasion arabe. Il sera terminé sous la dynastie des Ghaznévides, d’ascendance turque. Comment était-il illustré à l'époque ? Nous ne disposons pas d'information permettant de répondre à la question. Mais en fait rien ne dit qu'il était orné de miniatures...
L’œil des spécialistes : « Nous n'avons pas le droit d'insister catégoriquement sur l'existence de manuscrits persans ornés de miniatures illustratives avant le milieu du XIIIe siècle. En effet, comment croire que tous les manuscrits illustrés ont pu disparaître, alors qu'ils devaient être soigneusement conservés dans les bibliothèques royales ? D’autre part, pourquoi reste-t-il si peu de manuscrits illustrés arabes créés dans le centre du califat abbasside ? Non moins étrange est le silence que gardent les sources iraniennes anciennes sur la miniature. En revanche, on y trouve de nombreux récits sur les peintures murales. » (Vladimir Loukonine et Anatoli Ivanov, Miniatures persanes, New York, Parkstone Press International, 2010, pages 64-68).
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Coran ghaznévide de Bost, 1111-1112, double page initiale.
Bibliothèque nationale de France.
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La dynastie des Ghaznévides règne de la fin du Xe siècle à la fin du XIIe siècle. Sa capitale se trouve à Ghazneh (Afghanistan actuel). L’un des grands souverains ghaznévides, Mahmoud (971-1030) est connu pour ses conquêtes sanglantes en Inde mais aussi pour son soutien aux arts et aux lettres. Sa capitale devient un centre d’art et de culture.
Voici un Coran réalisé à Bost (aujourd'hui Lashkar Gah, en Afghanistan), résidence d'hiver des Ghaznévides. Le texte sacré a été reproduit avec soin. Des motifs géométriques et des dessins floraux stylisés ornent les marges.
Les copies du Coran se multiplient. Un art de la calligraphie, de l'enluminure et de la reliure se développe. Cet art du livre sera étroitement associé à celui de la miniature.
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Adieux du jeune Vargha à sa bien-aimée Golshâh sous un cyprès,
page du Vargha va Golshâh, vers 1200. Istanbul, Topkapi Saray.
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Sous les Seljoukides (XIe - XIIIe siècles), la calligraphie, l'enluminure et la reliure sont soignés. Voici le manuscrit Vargha va Golshâh daté de 1200 environ. Soixante-et-onze miniatures, œuvres du peintre Abd al-Mumin ibn-Muhammad al Naqqash al-Khowi illustrent une histoire d'amour écrite en persan par le poète Ayyuqi (Xe siècle).
Les visages sont ronds comme la lune (en Orient, la lune évoque la beauté) et cernés de halots ; les yeux ont une forme d'amande. L'espace « vide » est occupé par des arabesques florales et des arbres stylisés.
L’œil des spécialistes : « On peut supposer que, dans l’art persan, le caractère illustratif, existant depuis longtemps déjà dans les fresques, la toreutique, les panneaux de stuc ou encore les tissus, gagna également, aux XIe-XIIe siècles, la céramique […] et ce n’est qu’après que ces mêmes artistes — ou, tout au moins, ceux issus d’une même école artisanale — créèrent la miniature illustrative persane. Cela est d’autant plus vraisemblable que la conception artistique des Perses […] se caractérise par un lien étroit entre le mot et l’objet, la littérature et l’art figuratif. "[…]
Entre les mains d’un auditeur écoutant un poème, la coupe n’est plus une simple coupe, mais une métaphore vivante : une tulipe épanouie, un cœur rempli de sang ; les bords de la coupe sont les lèvres de la bien-aimée ; la coupe elle-même, une sphère céleste renversée sur la terre, la rotation de la coupe répète celle de la roue de la fortune" (Vorojeïkina, 1984, page 173) ». (Vladimir Loukonine et Anatoli Ivanov, op. cit., pages 52-58).
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Le roi des corbeaux s'entretient avec ses conseillers politiques,
page du Kalila et Dimna, vers 1210.
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La cour des califes abbassides (750-1258) dispose aussi de beaux manuscrits illustrés, dont le style rayonnera après la chute de la dynastie. Il faudra néanmoins attendre les XIVe et XVe siècles pour que la peinture persane atteigne son sommet expressif, alors même que la littérature persane connaît un certain déclin.
Voici une peinture illustrant Kalila et Dimna, version persane des Fables indiennes de Bidpay. Ces fables donnent la parole à des animaux — les personnages principaux, Kalila et Dimna, sont des chacals —, ce qui permet aux auteurs de s’exprimer avec plus de liberté. Elles furent traduites en français en 1664 et constituèrent une source d’inspiration pour Jean de La Fontaine.
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