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Cuivre émaillé (minakari)
Cuivre émaillé (minakari)
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Débarquement des amoureux dans l'île enchantée, page du Haft Aurang de Djami,
Débarquement des amoureux dans l'île enchantée,
page du Haft Aurang de Jâmi, Mashhad, 1556-1565.
Washington, Freer Gallery.
 

Des artistes vont exercer leur art dans d'autres villes comme Mashhad. De 1556 à 1565, Mashhad est placé sous la responsabilité du neveu de Shah Tahmâsp, Abou l-Fath Ebrâhim Mirza. Passionné de peinture, ce dernier décide de soutenir la production de manuscrits enluminés, même si les moyens sont moindres qu'à Tabriz. C'est à Masshad qu'est illustré le Haft Aurang (Sept trônes) du poète Jâmi (1414-1492). Achevé en 1565, le manuscrit comporte 28 miniatures, œuvres des peintres Cheikh Mohammad, Ali Asghar et Abdullah. Le premier cité rejoindra ensuite le ketâbkhâneh des rois safavides Ismaïl II (1537-1577), qui s'intéresse à la peinture mais ne règne que quelques mois, et Abbas Ier (1571-1629).
Voici l'une des miniatures du Haft Aurang. Deux amoureux débarquent sur une île enchantée.


Une vieille femme ruinée par l'injustice du souverain l'interpelle, page du Trésor des secrets
Une vieille femme ruinée par l'injustice du souverain l'interpelle,
page du Trésor des secrets de Nezâmi, Boukhara, 1538-1546.
Paris, Bibliothèque nationale de France.
 

Les artistes bougent au gré des changements politiques. Des artistes de Hérat partent exercer leur art à Boukhara (Ouzbékistan actuel), ville contrôlée jusqu'à la fin du XVIe siècle par la dynastie des Chaybânides. Au XVIe siècle, Boukhara hérite donc de la tradition picturale timouride développée à Hérat au XVe siècle, mais Boukhara se distingue peu à peu par sa palette de couleur très riche, sa composition aérée et ses paysages simplifiés par rapport à l'École safavide. Cela dit, on se borne souvent à reprendre des modèles existants.
Voici une miniature ornant Le Trésor des secrets, de Nezâmi.
L’œil du spécialiste : « Sous le règne du sultan [seljoukide] Sandjar, une vieille femme, dont l’histoire rapporte qu'elle a été ruinée par l'injustice du souverain, interpelle celui-ci personnellement. Sandjar, en route pour la chasse, consent à l'écouter ; il est alors au faîte de sa gloire. Ayant entendu les plaintes de la femme, une vive amertume commence à le ronger. [...]
Dans des peintures comme celles-ci, l'art de Boukhara atteint son zénith. Il influencera durablement la peinture indienne moghole de la fin du XVIe et du début du XVIIe. On remarque toutefois ici que les visages des personnages ont été retouchés, probablement vers 1610-1620, par des artistes de l'atelier impérial moghol, sans doute pour adapter la peinture au goût du jour. » (Francis Richard, Splendeurs persanes : Manuscrits du XIIe au XVIIIe siècle, Paris, BnF, 1997, page 145).


Page du Roman de Mehr et Mochtari, Chiraz, vers 1540-1550. Paris,
Page du Roman de Mehr et Mochtari, Chiraz, vers 1540-1550. Paris,
Bibliothèque nationale de France.
 

Autre centre de production, Chiraz, où l'on continue de copier des manuscrits pour de riches amateurs. Selon Basil Gray, la miniature de Chiraz se caractérise par une « concentration sur le thème principal du sujet et [le] traitement décoratif pour le reste, surtout pour l’arrière-plan de paysage et d’architecture. Les couleurs sont plus décoratives que réalistes, avec des touches franches, osées même, et puissantes, dans une tonalité d'ensemble qui est blonde. L'époque ne cherchait qu'un décor comparable à un rideau de théâtre et c'était bien ce qu'elle y trouvait. »
Voici une miniature ornant Le Roman de Mehr et Mochtari, poème de 'Assar Tabrizi (vers 1325 - vers 1390).
L’œil du spécialiste : « Le roi Kayvân descend de son trône et s'approche de Mehr et Mochtari qui viennent tout juste de se retrouver après une très longue séparation. Ils se sont tous deux évanouis sous le coup de l'émotion. [...] On note la façon de représenter les touffes de fleurs au pied d'un rocher, des deux côtés de celui-ci ; elle est caractéristique d'un des styles de Chiraz [...]. Une partie des personnages porte encore ici le turban à long bâton rouge des qezelbâchs, partisans des Safavides. » (Francis Richard, op. cit., Paris, BnF, 1997, page 139).


Dessins à la plume, Qazvin (?), seconde moitié du XVIe siècle.
Dessins à la plume, Qazvin (?), seconde moitié du XVIe siècle.
 

D'autres artistes commencent à travailler à leur compte, ne s'engageant donc plus uniquement dans de grands travaux comme le Shahnâmeh de Ferdowsi ou le Khamseh de Nezâmi mais créant des œuvres isolées ne se rapportant plus ou étant hors contexte de l'œuvre littéraire. Les œuvres isolées sont à la mode : les amateurs de d'art s'offrent des peintures et des calligraphies montées en « albums » (moraqqa'). Les artistes peignent des portraits de jeunes filles, de jeunes garçons, souvent androgynes, des derviches, des scènes pastorales, de chasse ou de combat, des banquets... Cette tendance est de plus en plus manifeste sous Ismaïl II, même si le roi, amateur de peinture, commande un Shahnâmeh (inachevé).
Voici cinq dessins à la plume, datés de la seconde moitié du XVIe siècle.


L'ascète retiré du monde et le laboureur, Mohammadi, 1578-1579, dessin à la plume
L'ascète retiré du monde et le laboureur, Mohammadi, 1578-1579,
dessin à la plume avec rehauts de couleur. Paris, Musée du Louvre.
 

Voici un dessin pastoral signé Mohammadi et détaché de tout contexte littéraire ou historique.
L’œil des spécialistes : « Cette scène rurale ne se rapporte, semble-t-il, à aucun texte. Au centre, deux bœufs tirent une charrue ; le bouvier, tout en les guidant, se tourne vers un derviche assis sous un arbre ; au premier plan, un berger joue du chalumeau à sa chèvre ; près d'un cours d'eau, dans leurs deux tentes, des femmes vaquent à leurs occupations ; plus loin, une cruche à la main, un gamin puise de l'eau. [...] Ici, [ces éléments] ne composent qu'une pure scène pastorale, sans contexte historique, sans propos anecdotique. [...] L'autre élément neuf est le naturalisme plus marqué des autres acteurs, et surtout du berger barbu qui penche en avant son corps maigre, concentré sur son instrument mais souriant aussi sous sa coiffure bordée de fourrure. » (Basil Gray, op. cit., page 155).
Assadullah Souren Melikian-Chirvani ajoute : « Cette évocation de la vie rustique contraste avec l'inactivité de l'ascète effondré contre son tronc d'arbre. Rien n'est écrit, mais tout est exprimé : la vie tourne tandis que l'ascète, dont les titres à la responsabilité spirituelle sont mis en doute, mène sa vie d'oisif sous prétexte de contemplation. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 320).


Femme à genoux approchée par un homme, Sâdeqi Beg, vers 1587–1610.
Femme à genoux approchée par un homme, Sâdeqi Beg,
vers 1587–1610. Harvard Art Museums/Arthur M. Sackler Museum,
Gift of Stuart Cary Welch, Jr.
 

Sous le souverain safavide Shah Abbas Ier, le ketâbkhâneh est dirigé à partir de 1587 par Sâdeq Beg Afshar ou Sâdeqi (1533-1610) puis vers 1597 par Aqâ Reza plus connu sous le nom de Reza Abbâsi (1565-1635). La peinture de ces années commence à être marquée par les influences occidentales. De nombreux voyageurs et marchands européens séjournent en effet en Perse et diffusent des gravures, imitées par les Perses. Des peintres viennent aussi en Perse, notamment hollandais, via la Compagnie hollandaise des Indes. Shah Abbas II (1632-1666) protège les artistes occidentaux ; il emploie dans son atelier Hendrick Boudewijn van Lockhorst puis Philips van Angel. De nombreux échanges se font aussi avec l'Inde.
La peinture de manuscrits est en déclin. Shah Abbas Ier ainsi que ses successeurs commandent de moins en moins de manuscrits. Le souverain aime surtout les peintures isolées, qui sont souvent datées et signées, et la calligraphie.
Pour Assadullah Souren Melikian-Chirvani, l'intrusion massive de l'influence européenne (à partir des années 1630-1640) est due à « l'affaiblissement de l'emprise que l'imaginaire poétique exerçait jusqu'alors sur la perception esthétique iranienne. » (et non l'inverse).
Voici une peinture signée Sâdeqi, probablement une adaptation d’une Annonciation d’un artiste flamand connu sous le nom de « Maître des banderoles » (actif vers 1450-75). L’ange est dépourvu d’ailes, de halo et n’a pas de croix. Sâdeqi signale lui-même que « les deux personnages sont dessinés à la manière des maîtres européens » (cf. Gary Schwartz, "Terms of Reception, Europeans and Persians and Each Other's Art", in Mediating Netherlandish Art and Material Culture in Asia, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2014, page 46).


Un page debout, Reza Abbâsi, vers 1590.
Un page debout, Reza Abbâsi, vers 1590.
Cambridge, Mass., Fogg Art Museum.
 

L'artiste le plus connu de la période est Rezâ Abbâsi. Il peint des œuvres isolées qui, au fil du temps, tendent à se rapprocher de la « réalité ». Il est formé à Mashhad puis devient le peintre le plus célèbre de l'École d'Ispahan, où Shah Abbas a établit sa capitale (1598). Sa virtuosité lui vaut la reconnaissance du souverain, d'où son nom, « Abbâsi ».
Voici une œuvre de Rezâ Abbâsi, caractéristique de son style.
L’œil du spécialiste : « Aga Riza [Reza Abbâsi] aimait rendre les transparences, manches de mousseline, cheveux ou barbes bouclées, et par-dessus tout les ceintures et turbans avec leurs plis. [...] On se détourne du type humain en faveur sous Tahmâsp pour un autre qu'impose le goût du temps. Épaules plus rondes, corps plus étoffé, taille moins marquée. La poussée du naturalisme en est en partie responsable ; ces personnages sont indéniablement moins raides et moins figés ; l'impression de mouvement est frappante. [...]
Ce qui sépare Rizâ-i Abbâssi de ses élèves et de ses continuateurs, c'est avant tout son goût du thème en soi ; larges plis d'une écharpe ou d'une cape de derviche, extrémités de la ceinture d'un page, qu'il accentue au point de leur conférer une beauté abstraite [...]. Le sujet lui-même est prêt à se dissoudre, à laisser place à une abstraction pure que la Perse n'aurait pu renier, avec son antique tradition calligraphique et la décoration nonn-figurative de ses tapis et de ses enluminures. [...] Malheureusement c'est la tendance au réalisme qui a fini par l'emporter. L'art européen en est peut-être le grand responsable auquel le châh s'intéressait pour lui et surtout parce qu'il représentait un marché pour ses brocarts. » (Basil Gray, op. cit., page 160-161, 167-168).


Combat de Rostam et du dragon, page du Shâhnâmeh de Ferdowsi, Ispahan, 1648.
Combat de Rostam et du dragon, page du Shâhnâmeh de Ferdowsi,
Ispahan, 1648. Windsor, The Royal Collection Trust.
 

Selon Basil Gray, « L'illustration de manuscrits, dans son ensemble, ne présente pas d'intérêt capital pendant le reste du règne de Châh Abbas Ier. Le dessin de personnages domine de plus en plus. Les arrière-plans composés de paysages sont de tonalité plus basse que les riches vêtements des acteurs. » (Basil Gray, op. cit., page 163).
Autre changement : les personnages ont tendance à s'agrandir et la composition à se simplifier. Comme l'indique Assadullah Souren Melikian-Chirvani, « On a le sentiment que la vision des artistes, désormais fragmentaire et pour tout dire simpliste, les incite à se détourner des compositions complexes des siècles précédents, qui représentaient un commentaire visuel de l'image. Le mythe littéraire intéresse moins et la réalité, fût-elle relative, attire davantage. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 108).
Voici une miniature ornant un Shâhnâmeh de Ferdowsi.
L’œil du spécialiste : « Dans le "combat de Rostam et du dragon" [...], le corps du cheval, dont le train avant seul est représenté, occupe plus du tiers de la hauteur. Rostam est traité à la manière d'une grande figure qui aurait été logée dans la page. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 108).


Siâvosh présente un captif à Afrassiâb, page du Shâhnâmeh de Ferdowsi par Mohammad Zaman,
Siâvosh présente un captif à Afrasiâb, page du Shâhnâmeh de Ferdowsi
par Mohammad Zaman, 1669. Metropolitan Museum de New York.
 

Voici une œuvre de Mohammad Zamân (actif entre 1649 et 1701) ; elle a un style européanisant. Elle figure dans un Shâhnâmeh de 1669 et illustre la scène au cours de laquelle le prince iranien Siâvosh présente un captif au roi touranien Afrasiâb. Le fond représente un paysage européen, les cyprès ont des ombres portées, les collines sont ombragées et le peintre a recours à la perspective, ce qui est très inhabituel dans la peinture de manuscrit. Avec Mohammad Zamân la peinture connaît un tournant.


Combat contre le dragon, par Moʿin Mosavver, œuvre destinée à un album (moraqqa'), 1676.
Combat contre le dragon, par Moʿin Mosavver, œuvre destinée
à un album (moraqqa'), 1676. Londres, British Museum.
 

La tendance au gros plan et à l’œuvre isolée se poursuit au cours des années suivantes. Voici une œuvre de Moʿin Mosavver (1617–1708), qui fut l'élève de Reza Abbâsi. Le personnage luttant contre le dragon pourrait illustrer plusieurs épisodes du Shahnâmeh, ce qui témoigne, selon Assadullah Souren Melikian-Chirvani « du relâchement de l'emprise de la littérature sur les arts visuels et de la découverte de la réalité, toute relative qu'elle soit. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 114).


Audience à la cour, signée Mohammad Zamân, 1720-1721.
Audience à la cour, signée Mohammad Ali, 1720-1721.
Londres, British Museum.
 

Le fils de Mohammad Zamân, Mohammad Ali, est miniaturiste à la cour de Soltan Hossein (1668-1726), dernier souverain safavide.
Voici l’une de ses œuvres.
L’œil du spécialiste : « l'absence de toute référence littéraire est frappante. Les citations poétiques calligraphiées à l'intérieur des peintures du XVIe siècle disparaissent au XVIIe siècle, exception faite des cartels présentés par les artistes dans leurs autoportraits. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 118).
Il ajoute : « La scène d'audience à la Cour [...] représente une rupture totale par rapport à l'esthétique de l'art figuratif iranien. Le rendu des volumes par le traitement de l'ombre, le sens de la perspective et la peinture du ciel nuageux sont autant de caractéristiques qui trahissent la main d'un artiste mieux au fait de l'esthétique européenne que son père Mohammad Zamân. » (Assadullah Souren Melikian-Chirvani, op. cit., page 383).



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